Pourquoi nous sommes contre le projet de réaménagement du boulevard Clovis?
Version du 20 mai 2020
Avant d’entamer la critique du projet, nous invitons le lecteur à en prendre connaissance. Ci dessous se trouve le plan du projet de réaménagement du boulevard Clovis. La partie du haut correspond à la section du boulevard allant du Square Ambiorix à la rue de Gravelines et la partie du bas à celle allant de cette même rue jusqu’à la chaussée de Louvain.
Une série d’éléments nous amènent à la conclusion que ce projet a été malconçu et qu’il est inadapté aux réalités du boulevard. Ce document a pour objectif de structurer et de présenter l’ensemble des griefs à son encontre recueillis auprès des riverains. Cela ne signifie pas que chaque riverain adhère à ces critiques mais que chacune de ces critiques a été avancée et défendue par une partie des riverains. C’est une synthèse, pas une position commune.
Absence total de consultation/participation citoyenne
Comme déjà exprimé lors de l’interpellation du Conseil communal du 2 mars 2020 ; les habitants n’ont pas été consultés pour l’élaboration de ce projet. Nous pensons que la participation aurait permis d’éviter bon nombre des critiques ci-dessous. Un autre document concernant exclusivement la question de la participation a été rédigé par les habitants et est disponible sur demande à l’adresse boulevardclovis@gmail.com. Il est important de préciser qu’outre les riverains, ni les écoles, ni la police, ni les crèches n’ont à notre connaissance été consultés alors même que le réaménagement les impactera également fortement.
Perte importante d’espace vert
Le projet de réaménagement prévoit de bétonner une partie importante de la berme centrale. Avant, la pelouse et les arbustes présents au centre du boulevard couvraient en moyenne 25% de sa largeur totale. Dans le projet de réaménagement, ce chiffre chute à moins de 10%. Plus de la moitié de l’espace vert au sol sera perdu. Difficile donc de parler de « verdurisation » comme le prétend la Ville. La zone est pourtant identifiée comme faisant partie du maillage vert. (Le détail du calcul se trouve à la fin de ce document).
De plus, il aurait été nécessaire de discuter de la taille et de l’essence des arbres car l’orientation du boulevard a pour conséquence que toutes les maisons sont orientées est-ouest, c’est-à-dire que le rez-de-chaussée et le premier étage des maisons sont particulièrement sombres.
Enfin, il est important de signaler que les arbres ne compensent pas perte de la végétation au sol car cette dernière a des propriétés écologiques différentes, notamment pour la faune, l’absorbation de l’eau, etc. Planter des arbres n’empêche pas de conserver la berme centrale. (Plus de détails sont également disponibles sur cette question à la fin du document).
Absence de prise en compte de l’aspecte écologique
Les matériaux prévus sont polluants (béton, asphalte et pavés importés) et le fait de remplacer la pelouse par du béton créera un nouvel ilot de chaleur. Le projet est en contradiction avec une série de dispositions environnementales, notamment la motion d’urgence climatique adoptée par le Conseil communal1 et avec les principes de l’économie circulaire défendus par la Région.
Absence de prise en compte de l’aspect patrimonial
Le boulevard Clovis est une artère emblématique du quartier des Squares, dessinée en 1881 et inchangée depuis 1953. Il fait partie intégrante de l’ensemble formé par les Squares et offre une continuité paysagère entre différents biens classés. De plus, il se trouve entièrement en « zone de protection » (sa partie supérieure dans celle du Square Ambiorix et sa partie inférieure dans celle de l’ancienne gare de Saint Josse), ce qui témoigne de sa valeur patrimoniale
Malgré le consensus des acteurs du patrimoine bruxellois concernant la valeur patrimoniale du boulevard, la Ville de Bruxelles a décidé d’en faire un piétonnier moderne et standardisé en s’inspirant de villes comme Montréal et Melbourne. Il perdra ainsi une grande partie de son identité et de son charme local, ce qui impactera l’harmonie d’ensemble du quartier des Squares qui a pourtant un fort rayonnement touristique (bâtiments Horta, maison Saint Cyr, etc.)
1 Voir notamment la décision du Conseil communal de la Ville de Bruxelles du 23 septembre 2019 déclarant l’urgence climatique.
La Commission Royale des Monuments et Sites avait pourtant insisté « pour que les travaux [de rénovation du tunnel ferroviaire menés par Infrabel] s’accompagnent d’une remise en état soignée de l’espace public, à l’identique de l’existant et la mieux intégrée possible eu égard au contexte patrimonial et paysager environnant (zones de protection, Zichee, axe structurant). Les dispositifs techniques indispensables devront être sobres, discrets et parfaitement intégrés »2.
Il est pour nous impensable de cautionner un tel saccage. Les différents niveaux de pouvoir s’étaient pourtant engagés à préserver le patrimoine du quartier dans le schéma directeur pour le quartier européen de 2008 en disposant notamment comme suit :
« Le schéma directeur souligne également l’importance de préserver des ensembles architecturaux qui constituent les « landmarks » du quartier européen (les squares Frère Orban et de Meeûs, la place du Luxembourg, la place Jourdan, le quartier des Squares) et de se montrer vigilant quant aux détails de cette préservation (par exemple les bâtiments d’angle dans la trame orthogonale du quartier Léopold) ».3
2 Nous soulignons. Avis rendu par la Commission à l’occasion de l’enquête publique du 22 aout 2018 concernant les travaux d’Infrabel.
3 Voy. notamment page 39 du schéma directeur.
Inadéquation au caractère résidentiel du boulevard
Selon la présentation fournie par la Ville, le projet s’inspire de différents espaces publics existants.
Or, tous ces espaces publics ont un point en commun : ils se situent dans des quartiers commerçants et dans des espaces ouverts. Au contraire, le boulevard Clovis est un espace résidentiel et est acoustiquement fermé, comme il en sera question plus loin. Ce type d’aménagement n’est tout simplement pas adapté à la fonction du boulevard et entrainera immanquablement des conflits d’usage.
Prevention des nuisances sonores
Le projet de réaménagement provoquera nécessairement d’importantes nuisances sonores pour les habitants. En effet, le boulevard Clovis est une rue en U. C’est-à-dire que le rapport entre la hauteur des bâtiments (plus ou moins 12 mètres) et la largeur de la rue (plus ou moins 27 mètres) est supérieur à 0,2 (en l’occurrence, plus du double : 0,44).
Une rue en U est un espace acoustiquement fermé, ce qui signifie que la réverbération du bruit sera plus importante et donc, les nuisances sonores aussi.
Pour comparaison, le boulevard des Quatre Journées qui se situe de l’autre côté de la chaussée de Louvain et dont le projet de réaménagement s’inspire est 25% plus large avec ses 33,5 mètres. Ce boulevard est en outre beaucoup moins long, ce qui réduit l’effet d’écho.
Dans un espace qui possède les configurations du boulevard Clovis, il est nécessaire d’éviter les sources de bruits. Pourtant, le projet prévoit la création d’une plaine de jeux et l’installation d’un très grand nombre de bancs. Ces bancs mis bout à bout mesurent 203 mètres. Pour avoir un ordre de grandeur, un banc du Square Ambiorix fait précisément 2 mètres. Il y aura donc l’équivalent de 101,5 bancs dans le boulevard Clovis ; plus que dans le Square Ambiorix. (Détail du calcul à la fin du document).
4 Présentation du projet par la Ville aux riverains du 1er octobre 2019.
5 L’étude acoustique dans l’urbanisme et l’architecture.
Les maisons du boulevard sont centenaires et leur isolation acoustique généralement très mauvaise. Si les installations projetées sont
réalisées, elles créeront des nuisances démesurées pour les habitants.
La surabondance de bancs est telle qu’elle nous interroge sur le sérieux du projet. Nous avons cherché des exemples, mais nous n’avons pas pu trouver une autre rue de Bruxelles reproduisant ce schéma. Même les rues commerçantes ou les réaménagements les plus récents (bld Anspach, Ch d’Ixelles) ne comptent pas autant de bancs6.
Cette absence d’équivalent montre l’inadéquation totale entre ce projet de réaménagement et la fonction résidentielle du boulevard.
Enfin, en plus d’introduire de nouvelles sources de bruits, le projet de réaménagement supprime le gazon qui est une surface absorbante pour le remplacer par du béton qui renforcera l’amplification du bruit.
Des details incomprehensibles
Certains détails attirent également notre attention et nous amènent à penser que le projet n’est tout simplement pas abouti.
Par exemple :
– des bulles à verres directement devant une entrée de maison sont une nuisance démesurée pour les personnes qui y vivent alors que de nombreuses alternatives existent ;
– d’importantes complications de stationnement et d’accès aux garages pour la police ;
D’autre part, certains éléments ont tout simplement disparu ou n’ont même pas été discutés. Par exemple :
– le canisite a été supprimé alors qu’il est important pour certains riverains ; – le nombre de lampadaires sera presque doublé alors que la rue est déjà bien éclairée ; – le sujet des boxs à vélos n’a pas été discuté alors que la très grande majorité des maisons est divisée en appartements, etc.
6 A noter également que les espaces verts situés entre le Bd Clovis et le parc Josaphat comptent moins de 20 bancs alors que ce tronçon fait environ 1.6km (boulevard des quatre journées, square Armand Steurs et avenue Deschanel jusqu’au parc Josaphat).
Budget déraisonnable
Le budget prévu pour le réaménagement du boulevard est de 2.6 millions d’euros.
C’est une somme très importante, particulièrement au regard des problèmes économiques qui vont être engendrés par la crise du coronavirus. Imposer un projet d’un tel montant qui ne convient pas aux habitants avec l’argent du contribuable est un non-sens.
Opportunité et sécurité de la plaine de jeu
Le projet prévoit une nouvelle plaine de jeux située entre l’école primaire Adolphe Max et la crèche de la Commission européenne. Or, Il existe déjà deux grandes plaines de jeux ; une à chaque extrémité du boulevard.
Il n’est pas justifié d’en ajouter une nouvelle. Cette plaine de jeux poserait également des questions concernant la sécurité puisqu’elle serait située entre deux rues exposant ainsi les enfants à la pollution et aux dangers de la circulation (deux lignes de bus passent à cet endroit). Enfin, comme cela a été dit, la plaine de jeux provoquera des nuisances sonores considérables au regard de la configuration en U du boulevard.
Sécurité
La question de la sécurité est essentielle dans un quartier résidentiel. La crainte des habitants est de voir des « guetteurs » s’installer sur les bancs pour repérer les maisons vides. Un habitant a signalé que la police avait déjà dû faire retirer des bancs situés à l’extrémité du boulevard (le long du Square Ambiorix) suite à plusieurs cambriolages.
De plus, si la promenade est occupée par des groupes la nuit tombée, cela créera nécessairement un sentiment d’insécurité pour les habitants et les passants qui traverseront le boulevard.
A nouveau, il s’agit d’un défaut dans la conception du projet. La prévention situationnelle, c’est-à-dire le fait d’aménager les espaces publics afin de renforcer le sentiment de sécurité et limiter les délits et incivilités, doit être prise en compte dans tout projet d’aménagement.
7 Cela ne prend pas en compte les travaux d’Infrabel.
Pistes cyclables
Les pistes cyclables prévues par le projet présentent différents inconvénients. Il ne s’agit pas ici de discuter de l’opportunité des pistes cyclables mais bien de la manière dont elles sont pensées dans le projet.
Tout d’abord, il n’y aura aucune séparation entre les pistes et les trottoirs. Les cyclistes rouleront donc juste à côté des piétons. La situation sera comparable à celles du boulevard Charlemagne et de la rue de la Loi où les cyclistes doivent éviter les piétons qui se trouvent sur les pistes, parce que ceux-ci ne font pas attention ou tout simplement parce qu’ils ne réalisent pas qu’il ne s’agit pas d’un trottoir. Ce risque de situations de conflit avait déjà été souligné par le GRACQ lors de la commission « modes actifs ». Cette ASBL spécialisée demandait une piste séparée et plus large car le boulevard Clovis fait partie du RER vélo. Les cyclistes seront donc a priori nombreux et désireront pouvoir rouler à un bon rythme.
Ensuite, le projet de réaménagement fait passer les pistes cyclables juste devant la sorties de trois écoles et de plusieurs crèches (Athénée, école maternelle et école primaire Adolphe Max, crèches de la Commission européenne, crèche Gabrielle Vandervelde).
De manière générale, le boulevard Clovis est très fréquenté par des enfants et des parents et
des accidents avec des cyclistes sont prévisibles. Un autre aménagement qui créerait moins de
conflits pourrait être trouvé.
Fermeture du carrefour avec la rue de gravelines
De nombreuses questions se posent à ce sujet :
- La fermeture va-t-elle aboutir à un report de la circulation sur la partie nord du boulevard ?
- Le déplacement de l’arrêt de bus sur la chaussée de Louvain est-il idéal pour la sécurité des écoliers ?
- La fermeture compliquera-t-elle le travail de la police ?
- D’autres solutions moins radicales ont-elles été envisagées ?
Aucune alternative a la suppression des places de parking
De nombreuses places de parking seront supprimées. Pourtant, beaucoup d’habitants dépendent de leur voiture dans leur vie quotidienne et ne pourraient matériellement pas s’en passer. Peu importe le jugement porté sur l’utilisation de la voiture en ville, la suppression des places de parking compliquera fortement une série d’activités pour ces habitants. Des alternatives pourraient être proposées. En outre, cela a déjà été dit, la police perd également des emplacements. Dans le projet, les places réservées se trouvent devant les garages. Devront-ils se livrer à des manœuvres pour chaque intervention ?
Que demandons-nous?
Afin de respecter la valeur patrimoniale et la situation de fait qui existait, il est nécessaire de repartir du boulevard tel qu’il était avant les travaux d’Infrabel et de s’interroger de manière systématique sur la pertinence de chaque élément modifié. Partir du principe que chaque modification doit être justifiée, nécessaire et proportionnée.
Telle modification est-elle adaptée à la nature du boulevard ? Crée-t-elle une nuisance pour les habitants ? Existe-t-il une meilleure alternative qui aboutirait au même résultat ?
Le boulevard Clovis est une artère historique du quartier. La mobilisation des riverains montre à quel point ils y sont attachés. Le réaménager sans prendre en compte ses caractéristiques, son histoire et ses habitants serait une erreur majeure.
Détails
L’objectif de ce complément est de permettre à chacun de se faire sa propre idée et de vérifier la fiabilité des données.
Détail du calcul de la quantité de bancs
Il n’est pas facile de se faire une idée de la quantité de bancs en regardant le plan du projet. C’est pour cette raison que nous utilisons une unité de mesure que tout le monde connaît : les bancs du Square Ambiorix qui mesurent 2 mètres précisément.
Le projet prévoit 38 banquettes, certaines étant regroupées. Chaque banquette a été mesurée le plus précisément possible. C’est la partie centrale (ni du côté du dossier, ni du côté des jambes) qui a été mesurée pour avoir un résultat le plus proche de la réalité.
Les banquettes les plus fréquentes sur le projet mesurent 6,80 mètres, c’est-à-dire plus ou moins la largeur d’une maison du boulevard.
Le projet prévoit au final 203,19 mètres de banquettes, l’équivalent de 101.5 bancs du Square Ambiorix.
Détail du calcul de la perte d’espace vert
Chiffrer la perte d’espace vert au sol est un exercice important car la bétonisation du boulevard est une des principales critiques. Calculer la surface en m² et comparer « avant/après » aurait été idéal, mais très difficile à faire car le boulevard Clovis est courbé et la promenade centrale n’est pas régulière. Il a donc fallu trouver une alternative.
Dans cette estimation, il est question de la portion de la largeur du boulevard qui est composée d’espace vert. Les arbres ne sont pas pris en compte, comme il en sera question plus loin.
Pour l’aménagement d’origine. Le boulevard fait 27 mètres de large. La pelouse + les arbustes faisaient un peu plus de 7 mètres. Cela représentait donc 26% de la largeur totale du boulevard. Nous arrondissons à 25%.
Pour le nouvel aménagement, c’est plus difficile parce que la proportion varie en fonction de l’endroit. Il y a des endroits comme la plaine de jeu où il n’y a quasi pas d’espace vert au sol (moins d’un mètre, càd 4%) et des endroits où il n’y en a pas du tout. Par contre, l’endroit où la surface verte est la plus importante représente 15% de la largeur totale.
Au final, si on fait la moyenne en regardant ce que chaque section représente sur la longueur totale, on trouve un pourcentage entre 9 et 10.
Enfin, les arbres n’ont pas été pris en compte car le projet ne précise pas quel sera le revêtement utilisé au sol. Sur les images, on peut voir des grilles ou des écorces. De l’herbe ou des plantes seraient les bienvenues aux pieds des arbres, mais même dans ce cas, cela ne modifierait la moyenne que de 2 ou 3%.